À Sassenage, à côté de Grenoble, j’avais découvert la somptueuse cuisine du château à l’occasion des Journées du Patrimoine. Fraîchement restaurée, remplie de trésors et d’accessoires tous plus ingénieux, remarquablement conservés et mis en valeur, cette pièce nous en apprend beaucoup sur l’histoire de la cuisine et je m’étais promis d’y retourner pour en savoir encore plus. C’est chose faite, ma curiosité a été récompensée et je suis heureuse de partager ma visite avec vous aujourd’hui.
Sassenage se situe au nord-ouest de Grenoble, au pied du Vercors. Lors du transfert du Dauphiné au Royaume de France au XIVe siècle, Sassenage devient une des quatre baronnies du Dauphiné. Les seigneurs de Sassenage, qui ont pris le nom du village, disposent de terres déjà très vastes et stratégiques, dominant ainsi de la plaine jusqu’à Villard-de-Lans, Lans-en-Vercors, Autrans, Méaudre et Corrençon-en-Vercors.
Sans héritier, la première Maison de Sassenage s’éteint au cours du XIVe siècle à la faveur d’Henri de Bérenger, un neveu, à la condition qu’il prenne le titre. Henri de Bérenger devient Henri de Sassenage et fonde ainsi la seconde Maison de Sassenage. Il apporte avec lui son marquisat de Pont-en-Royans, ce qui confère au seigneur un territoire immense qui va de Grenoble à Valence.
Beaucoup de possessions mais peu d’argent sonnant. Ils vivent alors dans une maison forte qu’ils rasent pour y rebâtir un château au cours du XVIIe siècle, au moment où Lesdiguières fait de Vizille sa demeure.
Il bénéficie d’une architecture à la française typique avec ses lignes épurées et ses parties bien symétriques. Sur le relief de la porte d’entrée on trouve les armes des Sassenage (à droite) et celles des Bérenger. Au centre, la fée Mélusine avec ses jambes en serpents. Les Sassenage descendraient en effet des Lusignan-Poitiers, eux-mêmes issus de Mélusine. La légende veut d’ailleurs que la fée se trouve toujours prisonnière des Cuves de Sassenage, des grottes situées non loin du château.
Le château de Sassenage a vocation à être une demeure plus d’apparat que d’habitation, une maison secondaire en somme.
La cuisine y est pourtant vaste et remarquablement équipée. On y retrouve différentes zones de travail bien identifiables. On remarque surtout l’état de cette cuisine qui a profité d’une récente campagne de restauration, tant au niveau des murs et plafonds que des bois. Ce qui est frappant aussi est la grande luminosité dont elle bénéficie, avec des fenêtres immenses. Se situant sur l’aile droite du château, je suppose qu’elle a profité des règles de symétrie de l’architecture à la française. La seule différence avec les autres fenêtres, ce sont les barreaux, seulement pour la cuisine et l’office juste à côté.
Mais ce qui m’avait déjà bluffée lors de ma première visite, c’était la richesse des instruments, aménagements et accessoires encore sur place.
J’avais hâte d’y retourner et d’en noter les moindres détails pour vous en faire profiter. Je suis sympa quand même, non ?
Les cuivres en fanfare
C’est ce qui frappe en arrivant : la quantité et la variété des cuivres. Casseroles, marmites, pots, moules, quelle richesse ! En pragmatique que je suis, j’ai tout de suite demandé qui se chargeait du nettoyage…
La cheminée est très large, avec une hotte qu’on devine retravaillée au fil du temps. La plaque de fond, en fonte où est inscrit « 1787 » a bien sûr l’utilité qu’on imagine, mais on apprend que le mur qui se trouve derrière elle est lui-même percé. La plaque, puis le mur percé, et de l’autre côté à nouveau une plaque qui sert donc de poêle pour chauffer cette pièce attenante, l’office. Astucieux.
On a la chance d’avoir ici une présentation des trois modes de cuisson possibles.
À la broche : jusqu’à trois poulies disponibles pour cuire les rôts. Les tournebroches sont actionnés par le marmiton depuis le côté, le système est caché dans un coffret en bois.
À l’étouffée, dans des marmites fermées
À la cendre, comme son nom l’indique…
On n’oublie pas le four à pain, utilisé à la fois pour le pain et les pâtisseries.
Sur le côté, un très grand égrugeoir en pierre, pour concasser le sel, le poivre ou le sucre, ainsi que le pétrin qui m’a rappelé celui de la maison Basque, Ortillopitz.
Faisons maintenant un peu le tour de cette cuisine et des trésors et curiosités qu’elle propose.
Le « lave-vaisselle » et l’égouttoir
Il s’agit ici d’une version rudimentaire mais très astucieuse, avec cette chaudière à cylindre. De l’eau chaude dans la partie bassine, de la braise dans le cylindre pour maintenir la température, et hop c’est parti pour laver et dégraisser les ustensiles avec de la cendre et de l’huile de coude. Après quoi il ne reste plus qu’à poser les pièces dans l’égouttoir, où l’eau s’écoule dans l’évier puis vers l’extérieur.
La fontaine filtrante
Cet objet imposant est tout en cuivre, étamé sur les parois internes. À l’intérieur, un système de couches successives de sable, gravier, charbon, lave et éponge naturelle permet de filtrer l’eau et de la récupérer par le robinet du bas. Celle-ci se trouve être la copie conforme d’une nature morte de Jean-Siméon Chardin qui est au Louvre.
On la retrouve aussi sur cette gravure de Charles-Nicolas Cochin.
Ce système de fontaine disparaît peu à peu à partir du XIXe siècle au profit de fontaines en grès.
Le potager
Le potager (du potage, la soupe) est l’ancêtre de la cuisinière, du fourneau. Ici il est à l’écart de la cheminée, alors que parfois un recoin était creusé directement dans le mur du foyer. En plaçant des braises sur les grilles ou dans un trou creusé dans la pierre, cela permet de cuire doucement, de réchauffer ou de maintenir au chaud. La pierre, la même qu’à l’intérieur de la cheminée ou que le four à pain, est de la molasse de Voreppe, à quelques kilomètres de Sassenage.
À l’extérieur
Une des portes de la cuisine donne vers l’extérieur, où se trouvait le potager (les légumes cette fois) mais aussi un petit bassin en pierre recouvert de grilles avec un système de fermeture. Il y a ici une arrivée d’eau façon pompe, apparemment provenant du Furon, un affluent de l’Isère qui passe à Sassenage. L’explication serait qu’il s’agit d’un vivier, le moyen de conserver le poisson frais.
Le mystère de la porte suspendue
On finit le tour de la cuisine avec ce petit escalier qui monte vers deux pièces, probablement la chambre du cuisinier. Et surprise, cette petite porte verrouillée à même la hotte de la cheminée, à plus de deux mètres de haut. Serait-ce l’accès au système de poulie ? Non parce que les câbles ne font qu’y passer. La chambre du commis ? Non parce qu’on y accède exclusivement avec une échelle, trop compliqué pour un usage quotidien. Pas de réponse à l’heure qu’il est… N’hésitez pas à mettre vos idées dans les commentaires si vous avez déjà vu ce type d’aménagement.
Le reste de la visite du château nous fait partager l’histoire des seigneurs de Sassenage en traversant les autres pièces, de réception ou de vie. On découvre par exemple, à la faveur de nos déambulations, la chambre de la dernière représentante des Bérenger-Sassenage, qui meurt sans héritier en 1971. Elle lègue le château à la Fondation de France, un site aujourd’hui à 100 % privé.
Remerciements
Je tiens à remercier Alain Jam et les équipes du château, pour leur accueil et le temps qu’ils ont eu la gentillesse de m’accorder.
À noter
Les vagues de restauration ne peuvent se faire que grâce à des dons ou du mécénat de compétences. La cuisine en a bénéficié l’année dernière, alors il faut remercier et féliciter la Fondation Crédit Agricole, Les Amis du Château, ainsi que :
– la société Battaglino (Tullins) qui a donné un mois de travail pour refaire les enduits et peintures,
– l’atelier Chardonnet de Grenoble, qui a redonné une nouvelle fraîcheur aux nombreux éléments en bois
Bravo, c’est très intéressant et les photos sont magnifiques. J’y vais justement ce lundi pour préparer un événement de mon institut, du coup je vais profiter bien plus de la visite, en connaissance de cause !
A bientôt, Dominique
Merci Dominique ! Et bon séjour au Château alors !
Quel article et photos intéressants.
Un grand merci de nous partager ces trésors de la Cuisine…et vraiment à proximité de chez nous…
Ptg bien sûr car comment résister. …
Gabrielle
Merci beaucoup Gabrielle ! Bonne journée
Une visite très intéressante, un grand merci .
Merci Jackie !
Je pense pouvoir dire que j’aime la cuisine tout autant que ce que tu aimes la couture, mais il n’y a pas à dire, tu as l’art du récit et tu nous captives ! Bravo ma Sophie, continue ainsi ! A quand la visite des cuisines de la Casamaures ? Bises.
Merci ma Roussette ! Je peux te retourner le compliment tant la virtuosité te connaît quant il s’agit de créer à l’aide de tes mains et de ta machine à coudre !
Et je te confirme que la Casamaures est toujours dans mes projets… Héhé… à suivre ! Biz
Excellent ! On est tenu en haleine tout au long de la visite ! On découvre la fontaine filtrante, le lave-vaisselle, l’égouttoir, les multiples dispositifs de l’âtre permettant des cuissons variées, le « potager » (ancêtre de nos « cuiseurs » ?), le vivier et les multiples ustensiles… On y vit !… Je ne peux m’empêcher de noter mon étonnement : pour une maison où l’on ne séjourne pas en permanence, quelle abondance de possibilités d’élaboration de mets qu’on devine succulents !… Quant à la destination de la porte dérobée de la hotte, accessible par une échelle, je me vois contrainte de donner ma langue au chat !… à moins d’y rapprocher le thué (ou tuyé) franc-comtois où l’on suspend les cochonnailles au-dessus de la cheminée pour les fumer… à Sassenage ces portes s’ouvrent-elles dans le conduit d’évacuation de la fumée ? subsiste-t-il la trace d’accrochage de dispositifs permettant de suspendre des victuailles ?
J’ai effectivement posé la question de la taille cuisine / nombre d’habitants au château. La cuisine a ces dimensions car elles permettent l’organisation de réceptions, à l’occasion desquelles on fait venir aussi du personnel qui n’est pas là à l’année.
Je sais qu’on s’est posé la question pour le fumage, mais j’avoue que je ne me rappelle plus de la réponse…. oups…. quelqu’un du château saura sans doute me rafraîchir la mémoire
Ah ! ah ! alors, on va être dans une histoire à épisodes
Marmiton ! Fais rôtir une poularde bien dodue. J’ai Grand faim !
Superbe ces cuisines tout comme ton reportage au top !
Merci
Bizzz
Evelyne
Merci Evelyne, grosse bise !