On n’est quand même pas venu pour beurrer les sandwichs ?

Les tontons flingueurs, film français de Georges Lautner de 1963, d’après le roman Grisbi or not grisbi d’Albert Simonin . Dialogues de Michel Audiard.

Pitch du film

Louis dit Le Mexicain, un chef truand, revient à Paris pour caner dans des draps propres. Il lègue ses affaires ainsi que la tutelle de sa fille Patricia, qui officiellement ignore toujours le corps de métier paternel, à Fernand Naudin (Lino Ventura) son ancien complice.
Au premier abord Fernand est perplexe face à cette promotion, car il est depuis des années rangé des voitures et paisible entrepreneur à Montauban.
Tapis dans l’ombre, d’autres comparses espéraient hériter de la gérance et surtout de l’usufruit des affaires courantes. S’installe rapidement un jeu de tensions, chacun se revendiquant légitimement Calife à la place du Calife.
Les argumentations et négociations se font alors par le biais de coups fourrés et autres courtoisies, éliminations, traquenards, tout le monde voulant reprendre la main et la tête du réseau.
Fernand, homme de parole, d’honneur et à la rigueur toute personnelle, décide finalement d’honorer les dernières volontés de son ami, d’autant que ses troupes se permettent d’être de mauvais payeurs et d’afficher une loyauté très approximative…

La cuisine des tontons

On fait connaissance avec cette cuisine au début du film. Après la mort du Mexicain, Fernand arrive à la propriété où vit sa fille Patricia. C’est une belle demeure bourgeoise type XIXe sur deux étages avec un grand parc.

Chez le mexicain

La demeure familiale du Mexicain. Le précédent propriétaire est mort lors d’un bête accident 3 mois après avoir vendu en viager, « une affaire » comme le souligne Pascal (Venantino Venantini). Cette maison existait bel et bien, elle était située à Rueil-Malmaison et plusieurs scènes y ont été tournées, dont celle de la cuisine.

Grâce à différents plans du film, on comprend que la cuisine se trouve derrière l’escalier, après un sas entre 2 portes. À l’époque des bâtisseurs de cette demeure, la cuisine n’a sans doute pas vocation à recevoir d’autres gens que les domestiques. Pas de moulures au plafond ou aux portes, pas de style déterminé, le strict nécessaire, cet endroit est utilitaire et invisible, contrairement au reste de la maison qui est à la hauteur du rang de ses hôtes.

Dans cette maison de maître, la cuisine est grande, avec une très large cheminée faïencée dans un style traditionnel comme une grande partie des murs, trois cuisinières tout confort, des pots d’apothicaires pour les épices et parfums, sans oublier les nombreux placards a priori en Formica. Ah le Formica !

Dur réveil pour Maître Folace

Dans cette première scène en cuisine, on comprend qu’on est un lendemain de fiesta difficile : café très noir, Alka-Seltzer en train de fondre, Maître Folace en robe de chambre alors que la journée est déjà bien entamée, cadavres de bouteilles et de pizzas, assiettes en vrac, etc. On distingue en arrière-plan le cœur de la cuisine, cette cheminée toute en longueur avec en-dessous pas moins de trois cuisinières.

Contexte de la scène

La scène qui nous occupe se situe à la moitié du film. Fernand vient d’échapper à un traquenard tendu par Théo et Tomate. Croyant les Volfoni à l’origine du forfait, il est allé se rembourser directement chez eux (La Péniche), assénant à cette occasion le premier des mémorables coups de boule à Raoul.
Raoul et Paul Volfoni, innocents du crime dont on les accuse, n’acceptent pas cet affront, ils décident de rendre à leur tour visite à Fernand pour se venger. Quand ils arrivent, la fête organisée par Patricia pour ses amis bat son plein. Et vu l’ambiance, les « adultes » ont dû effectuer un repli stratégique dans la cuisine, pour être plus au calme mais surtout pour assurer la production des sandwichs et la fournitures des bouteilles.

Les voilà donc réunis, a priori pour chacun régler son compte à l’autre.

Sauf qu’aucun d’eux ne tient à se faire démasquer par la jeunesse dorée présente, et la meilleure couverture ici, ben c’est de « beurrer les sandwichs ».

Raoul Volfoni : Hé dis donc, on n’est quand même pas venu pour beurrer les sandwichs ?
Paul Volfoni :
Pourquoi pas ? Au contraire, les tâches ménagères ne sont pas sans noblesse. Surtout lorsqu’elles constituent le premier pas vers des négociations fructueuses.

En suivant cette philosophie de cuisine, on irait bien coller un aspirateur dans les mains de certains de nos dirigeants, non ?

[…]

Monsieur Fernand : Tu connais la vie Monsieur Paul …. Mais pour en revenir au travail manuel, ce que vous disiez est finement observé. Et puis, ça reste une base.
Raoul Volfoni :
Ça, c’est bien vrai. Si on bricolait plus souvent, on aurait moins la tête aux bêtises.

Puisque je vous dis que je suis prête à offrir des cartes Leroy Merlin, moi !

Voilà que la cuisine et les tâches ménagères viennent d’avoir raison de nos molosses gonflés à la testostérone de compet’ soviétique. Ils se mettent à beurrer les sandwichs et à discourir sur l’éducation de la jeunesse, qui fout le camp, bien sûr…

La suite on la connaît, ils décident de trinquer ensemble « entre adultes », se rabattant sur le « bizarre », le « vitriol » puisque « le tout-venant a été piraté par les mômes ».

Un dernier tour de table façon western spaghetti, chacun se lançant un regard à la fois de défiance virile et d’appréhension papillaire avant d’avaler la première gorgée de whisky « The Three Kings ».

La cuisine a fait son effet ! L’alcool aussi, d’accord.

Les tensions sont parties, on observe petit à petit le rapprochement de ces hommes qui se découvrent plus de points communs qu’ils ne le pensaient. À coup de confidences, d’anecdotes, on n’hésite même pas à exprimer ses émotions, l’atmosphère se réchauffe.

Je mangerais bien quelque chose de consistant moi.

Ah tiens, on en profite pour admirer les bretelles de Maître Folace (Francis Blanche) : fer à cheval, box à chevaux ; celles de Raoul arborent des personnages ou soldats empire. Quelqu’un y verra peut-être une référence personnelle aux acteurs, un message caché, de mon côté je l’ignore.

La fin de la scène nous apporte donc encore la preuve de l’effet convivial de la cuisine, y compris sur nos gros durs, les voilà au faîte de la solidarité masculine pour évacuer les jeunes effrontés manu militari, dans des éclats de muscles et de rires bien virils.

Les voici réconciliés, « en pleine paix », du moins pour l’instant.

On a bien rigolé, on a bien fait d’en profiter !

Oui,car malheureusement la scène suivante va nous ramener à la brutale réalité… de la cuisine de 1963.

Patricia (Sabine Sinjen), en tablier, dans la cuisine de son Antoine (Claude Rich), bien à sa place puisqu’elle le dit elle-même : elle « donne à Antoine tout apaisement dans l’avenir » en cuisinant.
Fernand ne bouge pas, il reste dans l’encadrement de la porte, chacun son territoire. Elle est même obligée d’ajouter « tu peux venir tu sais ».

Aïe, j’ai mal à ma cuisine.

Je la préfère quand elle pourfend les clichés, pas quand elle les exacerbe.

Mais je ne leur en veux pas aux Tontons, je les retrouve chaque fois avec grand plaisir, et de toute façon comme le dit si bien Théo : « La bave du crapaud n’empêche pas la caravane de passer ! »

3 thoughts on “On n’est quand même pas venu pour beurrer les sandwichs ?

  1. Trop bon!!! Honnêtement, à première vue, le rapport « Tontons flingueurs »/ cuisine ne me paraissait pas évident…mais là, tu réussis à nous faire revoir ce film culte avec d’autres yeux! Bravo! Et si tu suggérais à nos dirigeants de se mettre autour d’une table…de cuisine??!! J’attends la suite avec impatience!!!

  2. Surprenant! On se demande où on va être emmené, le lien avec la cuisine. Ok , mes références filmographiques laissent à désirer! Et comme à chaque fois je dévore avec appétit , je savoure, j’y reviens et je me dis: wouah !!! Tout ça a un goût de trop peu!!!!! Vivement la suite!
    Continue, c’est goûteux! Sylvie!

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