Chez le Pèr’Gras, c’est une véritable institution à Grenoble. Perché sur les hauteurs de la Bastille, le restaurant gastronomique contemple, observe avec un regard à la fois détaché et bienveillant la capitale des Alpes. Au-delà d’une seule situation stratégique, l’histoire de l’établissement et celle de la ville se côtoient et se nourrissent depuis maintenant 120 ans.
Témoin privilégié et préservé ayant vu grandir 5 générations de Gras et autant de grenoblois, l’ancienne cuisine est encore aujourd’hui une pièce essentielle dans l’établissement. Avec ce petit détail en plus : elle a conservé son aménagement de 1959, année de création du restaurant actuel.
Il était une fois…
C’est au milieu du XIXe siècle qu’Étienne Gras quitte Laval (dans la vallée du Grésivaudan) pour venir s’installer au-dessus du fort de la Bastille. Il travaille cette terre de Chartreuse très rude et démarre une petite exploitation agricole : vaches, chèvres, bouc, cochons, arbres fruitiers, vignes. Ici en 1896 passent les promeneurs (courageux) pour leur sortie du dimanche, les ouvriers des cimenteries Vicat, les membres de la garnison du fort. La ferme devient alors un relais, un lieu de pause où l’on peut prendre un repas très rustique : un casse-croûte (charcuterie de la ferme), une part de tarte (arbres fruitiers) et un verre de vin des coteaux.
Au retour de la Première Guerre Mondiale, Hippolyte (fils d’Étienne) poursuit l’activité façon auberge auprès de son épouse Marie. Ils ajoutent des fromages sur les tables en bois.
« Le vin blanc des coteaux on l’appelait « le vin de trois ». Pour un qui boit, il en faut deux qui le tiennent. » me raconte Gérard Gras, qui a bien voulu partager avec moi l’histoire de sa famille.
À cette époque, le bâtiment principal recevait au rez-de-chaussée la cuisine, le bar, une petite salle de restauration, et la terrasse. À l’étage les pièces de vie de la famille. Dans la cour, une étable, et un petit chalet en bois. C’est ce dernier qui sera transformé à la fin des années 50 et deviendra l’actuel restaurant.
L’arrivée du téléphérique en 1934
L’arrivée du premier téléphérique urbain oblige le restaurant à changer de dimension. Quand avant 10 personnes passaient dans la journée, c’est désormais 100 personnes l’hiver et jusqu’à 300 par jour l’été !
Après la Seconde Guerre Mondiale, on ne veut plus avoir ni faim ni peur, on veut s’amuser. Le Pèr’Gras devient alors la guinguette des grenoblois. Marie, l’épouse d’Hippolyte (fils d’Étienne) diversifie un peu les plats proposés, conçoit des menus un peu plus élaborés : charcuterie, omelettes aux herbes avec pommes de terre nouvelles, poulet sauté, truites aux amandes, etc.
Leur fils Hippolyte et sa femme Marie-Louise élèveront à nouveau la qualité des plats dans les années 50. Marie-Louise a un don pour la cuisine, et sa belle-mère lui transmet également son savoir. Le restaurant propose alors des repas de chasse très remarqués. Il faut dire que dans les années 50 à Grenoble il n’y a que 6 restaurants !
En 1959, devant la charge de travail de la ferme et la demande croissante des clients du restaurant, l’activité agricole est arrêtée. Le petit chalet en bois dans la cour est transformé en restaurant plus grand, avec sa propre cuisine. L’ancienne, dans le premier bâtiment, sera préservée jusqu’à aujourd’hui.
La cuisinière date du début XXe siècle, elle est très imposante. Comment a-t-elle été montée là, par ce petit chemin incliné parfois à 25% ?!? Je n’y pense même pas…
Il n’y a pas de hotte de cheminée visible, mais celle-ci passe en fait derrière le mur de faïence, elle est commune à l’évacuation du four à pain. Le four à pain a quant à lui été rallumé cette année après 50 ans d’inactivité ! Ce fût l’occasion de faire revenir les odeurs si familières du gratin dauphinois et de tartes aux fruits qui ont fait le succès du restaurant.
La grande table au centre est aussi un pétrin, le plateau est donc amovible. Pour l’anecdote, pendant la Seconde Guerre Mondiale, les allemands ne penseront jamais à le soulever lors des 17 perquisitions qu’ils feront au restaurant. Et pourtant…
On remarque aussi l’immense vaisselier, et surtout ce mur entier aménagé en chambre froide (à gauche sur la première photo, la vue générale). Elle est aujourd’hui toujours en état de marche, et utilisée au quotidien ! Au départ la température y était maintenue par des pains de glace, puis avec l’électricité. Dans le fond il y a comme un serpentin qui court et qui, profitant du froid et étant relié à une réserve d’eau, permet de récolter de l’eau fraîche au robinet situé tout à droite.
Une nouvelle ère
La seconde version du restaurant lance une nouvelle étape. Marie-Louise et Hippolyte (fils d’Hippolyte) consolident alors la renommée du Pèr’Gras dans les années 60. Nous sommes déjà à la troisième génération depuis Étienne, une transmission familiale. Gérard Gras sera le premier à faire l’école hôtelière, à Grenoble bien sûr.
« Chez nous, on ne part pas. », raconte-t-il.
En 1973, l’eau courante arrive là-haut ! 1973 !
Au décès de son père en 1974, Gérard reprend la suite avec son épouse Monique et bien sûr Marie-Louise sa mère.
« Pendant nos trois mois d’ouverture l’été, nous faisons 100 couverts midi et soir ! »
Les années 70 et 80 voient défiler les personnalités et artistes de passage à Grenoble, ce qui conforte au restaurant son statut d’établissement de qualité incontournable.
Un film sera même tourné dans l’enceinte de Chez le Pèr’Gras. Un épisode de la série Paparoff (1988-1990) avec Michel Constantin et André Pousse. Qui s’en souvient ?
Aujourd’hui c’est Laurent Gras, « passionné de cuisine depuis tout petit », qui est à la tête du restaurant gastronomique, ancré dans l’histoire et dans le patrimoine de Grenoble. Sa sœur Aline se charge de la gestion et de la communication.
« Les gens sont passés mais le squelette est toujours là. Je ne sais même pas s’il nous appartient encore tellement il est inscrit dans l’histoire des grenoblois. » conclut Gérard Gras.
L’ancienne cuisine que l’on vient de découvrir est à l’image de cette histoire de famille. Toujours là, dans le respect de ceux qu’elle a vu passer. Aujourd’hui, cette pièce reçoit des groupes qui souhaitent un cadre original à leur repas, mais c’est surtout ici que mange le personnel avant chaque service. La vieille cuisine, celle des origines, est maintenant le lien incontournable et touchant entre les générations. Son heure est passée depuis longtemps, mais c’est ici que le rosé reste frais dans la chambre froide, c’est toujours ici que de temps en temps sortent les gratins dauphinois d’antan, et c’est encore ici que les jeunes générations se nourrissent avant d’aller servir dans la grande et moderne salle panoramique.
Je quitte Gérard « le Papé » Gras avec le sentiment d’en avoir appris énormément sur l’histoire de Grenoble, grâce au témoignage de cette famille forgée dans le travail et la transmission.
Remerciements
Je remercie Gérard Gras pour le temps qu’il a bien voulu m’accorder et pour avoir si généreusement partagé l’histoire familiale.
Je remercie chaleureusement Aline pour son accueil, et pour m’avoir sauvée alors que j’étais lamentablement échouée avec ma voiture au milieu de la montée de la Bastille
Site internet : http://www.restaurant-grenoble-gras.com/
Page Facebook
j’aime bcp ton article qui me fait découvrir cet établissement renommé de Grenoble. Et cette cuisinière du siècle dernier : quelle merveille!!
J’y suis passée pour travailler il y a qqs années mais sans avoir l’occasion de gouter à la cuisine! Mais qqs anniversaires arrivent pendant ce mois d’août alors ce sera l’occasion…. A bientôt
Merci Pompon ! Et très bonnes dégustations alors !
Coucou ma Soso, toujours très heureuse de te lire. Gros gros bisous. Cécile.
Merci Cécile ! Et en plus ça me donne l’occasion de t’embrasser ! Biz Sophie
EXTRA ! Un voyage dans l’espace (les pieds ne se déplacent pas beaucoup, mais les yeux découvrent un lointain illimité !), dans le temps (avec la succession des générations), dans les papilles (évolution dans les productions, et fidélité aux racines), mais aussi dans la générosité, le partage et l’amour qu’on ressent à l’arrière-plan de cette saga familiale… Bravo Sophie !…
Merci Line ! Biz
Nous y avons déjeuné le 25 juin pour l’anniversaire de mon mari. Une super table et un service impeccable