Il est des événements de l’histoire pour lesquels on ne sait pas trop s’il faut tout savoir, tout raconter, ou au contraire tout faire pour oublier. Parce qu’on sait que ce que l’on va apprendre ne va pas nous plaire, mais pas du tout. Mais vous savez bien que quand on en est là, soit on en sait trop, soit pas assez. Le cerveau n’efface pas l’information même minime, le point d’interrogation en liberté. Quand on dit à un enfant « ne regarde pas là » c’est évidemment plus fort que lui. C’est comme le coup de la pomme, l’interdiction, la punition, et patati et patata, de toute façon à la fin c’est toujours la femme qui trinque. Bon je m’égare. Quoique
Le radeau de la Méduse pour moi c’est ça. Je savais, en gros, que le tableau de Géricault provenait d’une histoire vraie, que cette histoire ne valorisait pas franchement l’humanité, mais sans savoir vraiment pourquoi. Ça faisait longtemps que j’avais envie de connaître les tenants et les aboutissants de cet épisode tragique.
Maintenant, je sais.
Ces derniers jours, avec l’entrée au Panthéon de grands hommes et femmes, avec l’actualité qui donne la parole à des « revisiteurs » de l’histoire, avec la refonte des programmes scolaires, on parle beaucoup du devoir de mémoire. Je vais inclure cette histoire dans mon devoir de mémoire. Le contexte politique, le choix des chefs, les décisions irréfléchies, l’incompétence, puis l’urgence, la survie,… un cocktail qui ne fait pas jaillir ce qu’il y a de meilleur en nous. Ou pas.
Là aussi je me demande : et moi, qu’aurais-je fait ?
Pour le radeau de la Méduse, je m’aperçois que tout était en place d’abord pour mettre la frégate dans le sable, ensuite pour décider d’abandonner la moitié des naufragés, et enfin pour qu’en (seulement) 13 jours de dérive les derniers sursauts d’humanité quittent les passagers du radeau. Trois jours ont même suffi pour lancer le carnage.
Un concours de circonstances minutieux qui, puisque personne n’en a enrayé ne serait-ce qu’un seul rouage, a mené à une catastrophe humaine avilissante. Je sais que vous penserez comme moi assez vite à de plus récentes et tristes répétitions de l’histoire.
Et aujourd’hui ? Hmm, soyons vigilants.
Pourquoi je vous parle de ça dans ce blog sur la cuisine ?
Parce que je fais ce que je veux, c’est mon blog !
Surtout parce que j’ai eu un coup de cœur inattendu en lisant cette histoire, et que j’ai eu envie de le partager avec vous.
J’ai eu en effet la surprise d’apprendre que sur les 152 personnes présentes (au départ) sur le radeau, il y avait 1 femme, une seule. Son métier ? Cantinière !
Elle se trouvait sur la Méduse dans le cadre de son travail, et accompagnait cette expédition à Saint-Louis du Sénégal pour y installer le nouveau gouverneur français. On est en 1816, Louis XVIII veut assoir la puissance française dans ses colonies. Des fois que les Anglais n’aient pas bien compris que c’était chez nous, il faut que quelqu’un se dévoue pour aller montrer qui sait qui fait pipi le plus loin.
NDA : Madame la Ministre, si vous me lisez, sachez que je n’ai jamais passé le CAPES d’histoire ; seuls mes enfants profitent de mes analyses et commentaires du plus haut intérêt scientifique ;-).
Mais, en parlant de dérive, revenons sur le radeau. La seule et unique femme suppliciée du radeau avait donc fait carrière dans l’armée française comme cantinière. Elle avait apporté à manger et à boire, et sans doute un peu de réconfort, sur de nombreux champs de bataille pendant 24 ans.
Originaire de Notre-Dame-du-Laux (Hautes-Alpes), elle exerçait depuis toutes ces années comme cantinière au sein de l’armée. Sur le radeau, elle raconta comment elle avait suivi les armées, les nourrissant, parfois les abrutissant d’eau-de-vie. Elle dit combien elle sentait avoir elle aussi participé aux victoires ou souffert des défaites, parce son métier la plaçait au cœur des batailles et des campagnes. Elle essaya sans doute de sauver sa place sur le radeau et sa vie en expliquant du coup combien elle était utile…
Cette femme est tombée ou a été précipitée à la mer plusieurs fois pendant la dérive. Elle a été sauvée, ainsi que son mari. Blessée lors des combats qui se sont déroulés sur le radeau, sa cuisse s’était notamment cassée entre deux lattes du radeau.
Elle aura survécu pendant 1 semaine, et fût parmi les 27 derniers. Sur ces 27, 12 ont été jugés trop blessés pour survivre plus longtemps, d’autant que les vivres (du vin) allaient diminuant. Elle fût jetée à la mer, en l’état, avec son mari et 10 autres…
15 survivants, sur les 152 passagers, ont été sauvés 6 jours plus tard par le brick l’Argus. Cinq sont encore morts après le sauvetage.
« Cette femme, cette Française à qui des militaires, des Français donnaient la mer pour tombeau, s’était associée pendant vingt ans aux glorieuses fatigues de nos armées ; pendant vingt ans elle avait porté aux braves, sur les champs de bataille, ou de nécessaires secours, ou de douces consolations. Et elle … c’est au milieu des siens ; c’est par la main des siens… Lecteurs, qui frémissez au cri de l’humanité outragée, rappelez-vous du moins que c’étaient d’autres hommes, des compatriotes, des camarades, qui nous avaient mis dans cette affreuse situation. » écrira Corréard.
Chacun tirera sa moralité de l’histoire.
Moi, maintenant, je penserai aussi à cette femme, même si elle n’est pas sur le célèbre tableau.
Si le sujet vous intéresse je vous invite à lire le récit complet de l’expédition. Celui de Corréard et Savigny « Naufrage de la frégate La Méduse » est disponible sur http://gallica.bnf.fr . D’un point de vue factuel, il est intéressant. Mais pour être juste, il semble un peu manichéen : les gentils officiers raisonnés et attaqués par les méchants pauvres, fous et sanguinaires. D’autres témoignages ont pu apporter un regard différent, moins magnanime sur les 2 auteurs notamment. Comme le dit Jean-Michel Charpentier, qui a réalisé une peinture retraçant cette tragédie aux dimensions réelles du radeau, et auteur d’un livre sur le sujet : « Seul l’homme peut être inhumain. »
*dans cette rubrique je posterai les billets qui ne sont presque ou pas du tout dans le thème du blog, des hors-sujets que j’ai quand même envie de partager avec vous.
Bonjour . Mais qui est cette femme qui n’est pas sur le tableau ? Une recherche a-t-elle été faite à ce sujet ? Cela mérite d’être approfondi et ferait une bonne pub pour le débat actuel concernant les femmes ! A+ Denis
Bonjour,
J’écris un texte sur le sujet.
Je ne parviens pas à trouver le nom de cette femme dont vous parlez… Saurez-vous me renseigner ?
Merci !
Bonjour,
à chaud malheureusement ça ne me dit rien…
Je regarde dans mes livres, sans garantie…
Sophie
Je découvre ce blog avec plaisir. Je ne commence pas par la lecture la plus optimiste j’imagine. :))
J’ose encore espérer que l’humanité saura mieux faire que de transformer une belle frégate en un tombeau flottant à la dérive……En fait j’ai besoin d’y croire plutôt. En tout cas si une telle tragédie devait arriver, je préfère faire partie de ceux qui périssent le premier jour. Une façon, peu courageuse je l’admet de céder ma place aux téméraires. :p
Bonjour Emmanuel et bienvenue sur ce blog ! Cette histoire est une grande leçon sur la nature humaine, intemporelle à mon sens. Il serait possible de s’en servir pour lire d’autres événements plus récents, ou pour en éviter d’autres encore. Mais… allons ! soyons optimistes ! A bientôt. Sophie
Un point d’histoire… un poing de femme qui se lève !… Craignant d’être entraînée dans des polémiques indues ici, je ne commenterai pas « les « brillants » officiers, arraisonnés par des « pirates pouilleux », qui se transforment ensuite en fauves assassins puis carrément en hyènes cannibales… d’aucuns de ceux qui sont censés gouverner notre monde, se reconnaissant sans aucun doute possible, risqueraient de vouloir me faire taire…
Super bien raconté !
C’est super, continue comme ça !
Biz
Merci Minikimie ! ♥
la classe. tu devrais écrire des livres, ou des piges, sérieusement
Merci Tito ! Touchée. Tu veux être mon impresario ?
Sophie
j’en cherches un moi aussi … c’est toujours le problème chez nous autre artistes
Merci pour ce moment (tiens j’ai déjà lu et entendu ça!) j’adore te lire
Oh merci Rosalie !